Interview lila borsali

O9–En raison de la pandémie et la crise sanitaire, les artistes et les musiciens ont pratiquement chômé durant plus de huit mois. Quelle a été la recette de Leïla Borsali pour surmonter cette période exceptionnelle ?
Il est vrai que le fondement même du travail de l’artiste est de savoir assurer le transfert d’une relation intimement vécue à l’ art qu’il pratique vers un public , le plus large possible, qui, par sa réaction, en validera la portée, voire la qualité. L’artiste, pour évoluer dans la voie qui aura été la sienne, de cet échange ! Un échange que nous, artistes, n’avons vraiment eu l’habitude jusque- là de vivre qu’en présentiel. Il est donc certain que la pandémie a vraiment impacté tous les domaines d’expression , en termes relationnels, de l’art.
Mais je pense aussi que, quand on est porté par la passion, quand l’art que l’on pratique est ancré dans notre être profond, on est intuitivement à la recherche de ce qui peut nous aider à entretenir ce rapport à l’autre nécessaire au vécu et à l’évolution d’une expérience pourtant très subjective. Quoi de mieux dans ce cas que de changer , serait ce partiellement, nos modes de communication en profitant de ce que la technologie nous offre comme moyens actuellement ! Personnellement, sans pour autant prétendre à une victoire absolue sur la crise sanitaire, j’ai beaucoup travaillé en ce sens : plusieurs live, plusieurs vidéos, et surtout un concert en ligne ‘ La rentrée en nouba » . Ce concert, je me permets de le dire, je l’ai vraiment vécu comme un défi , celui de répondre à tout mon public qui n’a cessé de me soutenir de ses commentaires, de ses pensées, en respectant un rendez-vous avec lequel nous avons pris, depuis plusieurs années, l’habitude de marquer l’ouverture de notre saison musicale . J’ajouterai seulement qu’à chaque chose malheur est bon ! Il n’est pas exclu que dans des temps meilleurs Inchaa’Allah , nous adoptions, du numérique au présentiel , une double manière de faire ! Pourquoi pas ?
—Votre nom est aujourd’hui étroitement collé à la musique andalouse, non seulement en raison de votre longue carrière artistique, mais aussi avec la nouvelle dimension médiatique prise par votre dernière émission à la radio et à la télévision ?
Je pense pouvoir, sans crainte de me tromper, parler d’une situation à l’autre de continuité , tout en ajoutant que tout vécu s’abreuve forcément de ce qui le précède et le nourrit même ! En effet, mon expérience en termes de connaissance du patrimoine poeticomusical andalou– longue certes mais nullement parachevée bien entendu ! – a certainement été pour moi la base nécessaire pour animer cette émission et entretenir un propos dont l’objectif premier est précisément la valorisation de ce patrimoine. J’ai donc vécu cela comme un dialogue avec tous ceux, artistes comme moi, veillent à en assurer la flamme. Mais en plus , cela m’ouvre des horizons nouveaux dans la mesure où, quand vous vous inscrivez dans un échange avec l’Autre, vous allez forcément vous intéresser à ses particularismes, à son environnement sociohistorique, à son mode d’expression, etc… Ce qui laisse supposer d’abord un bel effort de documentation, mais aussi et surtout une ouverture à des domaines d’expression parents ou dérivés qui annulent sans les effacer les frontières qui cadrent la musique andalouse . Ce qui me rend très heureuse !
—-Qu’est ce que vous en pensez de cette expérience dans la production radiophonique et télévisuelle ? Quel est l’objectif recherché et pourra t elle prendre en charge tous les aspects de l’andalou, ses trois écoles, malouf, gharnati et sanaa, ses textes, ses styles, ses artistes?
Je viens de répondre partiellement à la question. J’ajouterai néanmoins qu’il n’y aura aucune exclusion . Au contraire, l’objectif est de montrer que le domaine auquel nous nous attachons est très vaste , et que la grande diversité qui le caractérise fait toute sa force . Pour peu que l’émission ait la longévité que nous lui souhaitons, nous avons la ferme intention de faire appel à tous les artistes musiciens qui voudront bien répondre à notre invitation, et ce quelle que soit bien entendu leur appartenance à telle ou telle école. Au contraire, tout l’intérêt est dans cette pluralité . Pour appuyer leur savoir faire et leur connaissance très personnelle du domaine, nous invitons en même temps des experts en la matière ( musicologues, chefs d’orchestre, initiateurs d’apprentissage collectif type associatif, etc..) qui viendront de leurs propos apporter la note académique qui complètera ou simplement appuiera l’échange de l’artiste à l’animatrice, de l’artiste à l’orchestre qui l’accompagne, de l’artiste à son public. Je précise que ce public auquel nous faisons référence est large, il peut être celui de connaisseurs en ce domaine comme il peut être celui de gouteurs de la musique seulement avides de connaissances supplémentaires autour d’une musique qui les fait vibrer .
—L’andalou a souffert d’un cliché, comme celui d’un art destiné à un public restreint, fermé et à une catégorie sociale. La perception a t elle changé ?
—-Y a il de nouveaux adeptes de cette musique chez les jeunes? Un engouement ou un intérêt ?
Je pense qu’il est très maladroit et extrêmement réducteur que de réduire une expression artistique quelle qu’elle soit à une catégorie sociale donnée ou à une tranche d’âge. C’est lui imposer des barrières dont l’art ne peut que souffrir. Simplement , sans pour autant en trahir les fondements ou tourner le dos à sa genèse, j’ai la conviction qu’il y a un savoir- transmettre qui doit travailler en interrelation avec les attentes d’un public toujours neuf , toujours en phase avec l’époque dans laquelle il vit son écoute . La perception ne change donc pas à proprement parler, c’est la forme qui suscite l’émotion esthétique qui doit être modulée . J’aime beaucoup tous ces jeunes ( pas forcément accompagnés de leurs parents, donc pas sous la contrainte d’une exigence familiale !) qui viennent me dire à la fin d’un concert ou dans leurs commentaires sur la toile , l’amour qu’ils ont pour la musique andalouse, et ce qu’elle déclenche en eux comme sensations ! C’est formidable, et en même temps cela nous sort complètement de ce cloisonnement que votre question laisse supposer.
—-L’après Covid19 se profile à l’horizon. Borsali s’est elle préparée. Y a t il des projets de concerts en vue ou des participations à des rendez-vous internationaux ?
Les projets , il y en a toujours beaucoup, certains déjà précis, d’autres moins cadrés encore. Sans cela , la vie en général, mais celle de l’artiste en particulier, qui cherche constamment à se projeter dans une représentation symbolique de ce qu’il voit et pense, n’aurait plus de sens . Restons optimistes et formulons de nouveau le souhait que la pandémie que nous vivons n’ait plus d’avenir et qu’elle nous laisse enfin vivre d’abord les programmes qui étaient prévus durant cette année 2020 et ont été reportés , et en construire d’autres dans la continuité : organisation de concerts nationaux, rendez vous internationaux, enregistrements… Inchaa’Allah !
—-Fidèle à ce patrimoine musical, Borsali a voulu innover avec des noubas nouvelles. Vous maintenez la même démarche ?
Je crois fermement que le patrimoine EST créativité, comme je me plais souvent à le répéter. Par conséquent mon action en ce sens répond à une vision des choses qui est rationnellement pensée, qui est intimement vécue dans ma façon d’être, dans ma relation à ma vie, à ma famille, à ma culture, à mon pays . L’art n’étant autre que la représentation symbolique de ce que nous sommes dans notre moi profond, il est logique à mon sens que je ne peux que continuer à œuvrer dans la voie à laquelle je crois et qui me ressemble le plus .
—-Un dernier mot?
Continuons à vivre d’espoir et de travail, ce serait encore la seule formule, disons la magique, pour lutter contre le stress et le découragement . La musique adoucit les mœurs. Les anciens l’ont bien dit . Combien ils avaient raison !